Interview

Bruno Dumont : « Non, “L’Empire” n’est inspiré ni de “Dune” ni de “Star Wars” ! »

INTERVIEW. Le film « L’Empire », en salle depuis le 21 février, opère un alliage déjanté entre l’univers du réalisateur nordiste et les codes du space opera.

Propos recueillis par

Fabrice Luchini dans L'Empire, film de Bruno Dumont, en salle depuis le 21 février 2024.
Fabrice Luchini dans L'Empire, film de Bruno Dumont, en salle depuis le 21 février 2024. © ARP

Temps de lecture : 5 min

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Alors que L'Empire ne fait guère d'étincelles au box-office – et c'est bien dommage tant le space opera complètement zinzin de Bruno Dumont nous a diverti –, son réalisateur a bien voulu répondre au Point Pop sur les influences de son nouveau film. On n'a pas forcément tout compris, mais, à coup sûr, l'auteur de La Vie de Jésus, Ma Loute et France a de saines références en matière de science-fiction.
Et, entre deux envolées métaphysiques à prendre plus ou moins au sérieux, Dumont l'iconoclaste livre quelques édifiants secrets de fabrication sur sa relecture très personnelle de la lutte du bien contre le mal.

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Le point Pop : Quel a été votre premier contact avec la science-fiction ?

Bruno Dumont : C'est un univers que je ne connais que par le cinéma, la littérature de SF n'étant pas ma tasse de thé. Et je pense que l'un des premiers films du genre que j'ai vus en salle, c'était La Planète des singes. J'adore cette saga, je les ai tous vus et j'aime le concept d'aborder de façon spectaculaire et divertissante, à travers ces histoires fabuleuses, accessibles et ludiques, des questions fondamentales sur l'origine et la fin des choses. Je l'ai vu à sa sortie, en 1968, et le plan final sur la statue de la Liberté enfouie dans le sable m'a pétrifié. Il me parle toujours et c'est un plan qui revient souvent un peu partout dans le cinéma. Il prouve à lui seul la puissance de ce cinéma pour travailler nos imaginaires et nous interroger sur les questions que j'ai évoquées.

La même année, j'ai vu 2001, l'odyssée de l'espace et j'ai aussi beaucoup aimé sans avoir tout compris. Mais ça ne me dérangeait pas, on n'avait pas besoin de comprendre ces mystères, ces questions sans résolution, cette restitution de l'infini. C'est ça, la force du cinéma de SF : rendre l'infini visible, on le voit. Quand j'ai commencé à travailler sur L'Empire, c'est ce que j'ai voulu faire, utiliser la SF pour évoquer l'origine du mal, du bien, du monde, la fin du monde, l'apocalypse… Bref, ces grandes questions que l'on appelle la métaphysique. Soleil vert aussi, j'ai adoré. Comment le film aborde notre finitude sur cette Terre dévastée, avec un véritable imaginaire.

Et le mal dans la SF de Dumont, c'est donc Fabrice Luchini sur un gigantesque vaisseau-château…

Eh ouais ! Je l'ai habillé comme le Faust de Murnau, dont j'ai piqué le couvre-chef. On a aussi emprunté des choses au Dom Juan campé par Louis Jouvet en 1947. On a beaucoup fait tourner Luchini devant des fonds verts et il a détesté ça, je le connais bien, mon Fabrice ! Il avait beaucoup de mal à comprendre son personnage à la lecture, mais une fois qu'il était dans son costume et qu'il a compris sa dimension théâtrale, ça passait mieux. En voyant Faust de Murnau, ça l'a aussi aidé, et il est parti au quart de tour.

« L'Empire », un étonnant alliage de comédie absurde et de space opera.
 ©  ARP
« L'Empire », un étonnant alliage de comédie absurde et de space opera. © ARP

Votre film est très souvent décrit comme une parodie de Star Wars. Est-ce vraiment une de vos références ? 

J'étais aux États-Unis dans une famille du fin fond de l'Indiana et je parlais très mal l'anglais quand ils m'ont envoyé voir le premier Star Wars [La Guerre des étoiles en France]. Je n'ai rien compris parce que je parlais très mal l'anglais mais, là encore, l'imaginaire, les personnages, le gros bouillon syncrétique d'influences m'ont bouleversé. Quand j'ai tourné Flandres, en Tunisie, je l'ai fait dans un des endroits qui a servi au tournage de Star Wars. Regardez bien certains plans, vous décèlerez des restes de La Guerre des étoiles dans le décor. Dans Star Wars, j'ai adoré aussi l'idée du feuilletonnage des films, ça m'a donné envie de penser L'Empire comme un prequel de La Vie de Jésus : le bébé Freddy, c'est le Freddy de La Vie de Jésus. Il est le fils du mal, de Belzébuth !

C’est cela que doit être le cinéma : fouiller le fin fond des interdits.Bruno Dumont

En voyant le film, j'ai trouvé qu'il s'inspirait bien plus de Dune que de Star Wars…

Non, pas vraiment. Ni Dune ni Star Wars, en fait ! D'ailleurs, quand il a fallu créer les vaisseaux spatiaux, j'ai passé un temps fou à empêcher les techniciens de me faire des engins qu'on avait déjà vus partout. Pour le reste, L'Empire, c'est comme Aristote : tout est mélangé, le naturalisme, la SF, le satanisme, le fantastique, le tragique, le comique… L'Empire, c'est aussi comme la ducasse du Nord, quoi [fête foraine traditionnelle en Belgique et dans le nord de la France, NDLR]. Comme dans le village du film, ils sont tous à moitié anges et démons, brassés par des forces contraires. Johnny [joué par l'acteur non professionnel Brandon Vlieghe, NDLR] a été investi par le mal. Il est le père du Freddy que l'on voit dans La Vie de Jésus.

Pour les vaisseaux, on s'est inspirés de la Sainte-Chapelle pour celui de Camille Cottin et du palais royal de Caserte, dans la banlieue de Naples, pour celui de Fabrice Luchini. Les équipes de Star Wars : la menace fantôme ont tourné aussi là-bas et, d'ailleurs, vous retrouverez un escalier chez nous que l'on voit aussi chez eux ! On a tourné L'Empire pour environ 7 millions d'euros et je trouve qu'on s'est plutôt pas mal débrouillés avec nos solutions pas chères. On est partis de choses existant dans le réel pour créer des vaisseaux entièrement nouveaux, avec l'aide de la société d'effets visuels Mikros.

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Et concernant Star Wars, avez-vous suivi la dernière trilogie ?

Bof, l'énergie s'est un peu perdue, on est vraiment mieux dans les six premiers numéros. Celui où on assiste à la naissance de Dark Vador, avec ce final shakespearien dans un décor de lave, c'est lequel ? Ah oui, La Revanche des Sith  ! J'aime beaucoup, super celui-là ! Il n'a pas peur de montrer la violence entre le père et le fils, ça va très loin dans la transgression, c'est digne d'une tragédie grecque. Et c'est cela que doit être le cinéma : fouiller le fin fond des interdits. Pour un être humain, il faut tuer l'inhumanité, c'est toute l'histoire du théâtre et du cinéma. La morale, oui, c'est très bien dans le réel, il faut tous se retrouver dans la concorde, mais on ne crée pas la concorde en filmant de la concorde, ça ne marche pas comme ça ! C'est le chaos qu'il faut filmer, la transgression ! Aujourd'hui, le cinéma devient de la communication, il s'aligne sur des injonctions, c'est une catastrophe.

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Commentaire (1)

  • fredo09

    Je ne suis pas du tout d'accord avec Philippe Guedj et ne comprend absolument pas les très indulgentes critiques de l'intelligentsia parisienne. Ce film est nul, boursouflé, enfonce avec une lenteur insupportable des portes ouvertes, c'est juste un cauchemar. Le public a bien raison de ne pas y aller