Que vaut la série « Citoyens clandestins » sur Arte ?

La réalisatrice Lætitia Masson adapte le best-seller de DOA sur la menace terroriste post-11 Septembre. C’est intense, sombre et poétique.

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Gringe incarne Karim Sayad (dit Fennec).
Gringe incarne Karim Sayad (dit Fennec). © Mika COTELLON

Temps de lecture : 4 min

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Le monument Citoyens clandestins, signé de l'écrivain DOA, Grand Prix de littérature policière en 2007, avait de quoi donner le vertige. Une œuvre de plus de 700 pages, premier des quatre tomes d'une série consacrée au terrorisme international : le Cycle clandestin, devenu culte dans le secteur du roman noir français. La réalisatrice Lætitia Masson, à qui l'on doit notamment En avoir (ou pas), La Repentie, Pourquoi (pas) le Brésil ou Un hiver en été, s'est librement inspirée de ce roman tentaculaire pour créer une minisérie intense et sombre, très réussie.

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Son intrigue est sensiblement la même que celle du roman de DOA, bien qu'expurgée de la fourmillante complexité qu'impose un pavé de cette ampleur. L'effet sur petit écran est dense, nerveux, addictif. Posons le décor : nous sommes en 2001, le terrorisme djihadiste grimpe en flèche, les tours jumelles s'apprêtent à tomber et un groupuscule d'islamistes radicaux projette un attentat en plein Paris. L'idée du groupe terroriste est de fabriquer une bombe à base de VX, un gaz mortel vendu quelques années plus tôt par la France à l'Irak. Gênant pour le gouvernement, stressant pour les services de lutte antiterroriste, explosif à tous les sens du terme, le produit doit être intercepté à tout prix et son origine étouffée.

Salafisme et guerres des services

Lætitia Masson donne chair aux personnages du roman de DOA par le biais d'un casting original, tout en finesse. Karim Sayad (dit Fennec), incarné par un Gringe (rappeur, fondateur du groupe des Casseurs Flowters avec Orelsan, décidément très bon acteur), farouche, impressionnant de colère intériorisée, est un espion infiltré dans une mosquée salafiste. Un mercenaire, Lynx, officiant pour les services secrets français, gravite lui aussi autour des membres du groupuscule terroriste, les abattant un à un en mettant à mal la couverture de Fennec.

Le rôle de Lynx a été confié à Raphaël Quenard, César de la meilleure révélation masculine pour Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand. Drôle d'idée pour un gros dur de l'envergure de Lynx (qui ne cesse d'encaisser et de rendre les coups sous la plume de DOA) que ce garçon un peu perché, yeux doux et timbre flou, mais la mayonnaise prend. L'acteur cultive l'ambiguïté du personnage et lui confère une aura de tendresse empêchée qui nous touche.

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Les deux hommes ignorent tout l'un de l'autre : les gros bonnets des différents services de l'État pour lesquels ils officient, à l'Intérieur et à la Défense (où se croisent Nicolas Duvauchelle, Frédéric Pierrot, Laurent Stocker…), les manipulent, se tirent la bourre et prennent des décisions contradictoires, chacun ayant sa propre idée et ses propres méthodes pour arrêter le compte à rebours lancé par les terroristes en récupérant les barils de VX.

Autre personnage clé de l'histoire : Amel Balhimer, campée par la troublante Nailia Harzoune. Issue d'une famille d'immigrés modestes, fiancée à un gendre idéal parfaitement irritant, pigiste dans la presse féminine, elle rêve d'émancipation et de journalisme de terrain. Elle sera bientôt servie en devenant l'assistante d'un vieux routier de l'investigation politique (Pierre Arditi, très bon) qui la jette, moitié papa-poule, moitié tête brûlée, dans une enquête qui la dépasse et fait d'elle une cible mouvante, tant pour les terroristes que pour les services agacés de la voir fouiller dans les secrets d'État.

La naïveté d'Amel nourrit son intrépidité, elle questionne, dérange et séduit : la belle fendille le cuir du Lynx, aiguise l'appétit du Fennec et dope une intrigue dans laquelle un attachement farouche à la culture de la grande histoire d'espionnage s'enrichit d'une fibre sentimentale qui la pousse vers une poésie vénéneuse, rare dans cette veine.

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La crédibilité de l'intrigue géopolitique nous prodigue le désir impérieux de (re)lire DOA et de voir l'intégralité de son Cycle clandestin portée à l'écran. Chacun de ses tomes s'ouvre sur une citation des Fleurs du mal, de Charles Baudelaire. Lætitia Masson tire ce fil, en fait l'âme de sa série au romantisme groggy, rendu KO par la violence du monde. Au thriller efficace se mêlent des morceaux de prose baudelairienne susurrée en voix off, une bande-son planante, des images en clair-obscur : l'esthétique émouvante d'un combat féroce entre ombre et lumière. Poignant, parce que perdu d'avance.

Citoyens clandestins, disponible sur la plateforme arte.tv à partir de ce jeudi 14 mars. Diffusion sur Arte dès le jeudi 21 mars à 20 h 55.

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