Oscars 2024 : une « Salle des profs » du fin fond de l’Allemagne déboule à Hollywood

À première vue, « La Salle des profs » n’est pas de l’étoffe qui fait les Oscars. Et pourtant, le film est en train de gravir une à une les marches de la gloire.

De notre correspondante à Berlin,

Ilker Çatak a réalisé La Salle des profs, qui va représenter l'Allemagne dans la catégorie du meilleur film étranger, dimanche, à la cérémonie des Oscars.
Ilker Çatak a réalisé La Salle des profs, qui va représenter l'Allemagne dans la catégorie du meilleur film étranger, dimanche, à la cérémonie des Oscars. © Rob Latour/Shutterstock/SIPA / SIPA / Rob Latour//SIPA

Temps de lecture : 4 min

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Comment l'anodine salle des profs d'un obscur collège du fin fond de la province allemande réussit-elle à se frayer un chemin jusqu'à Hollywood ? La question est sur toutes les lèvres depuis que le film Das Lehrerzimmer (La Salle des profs) du réalisateur germano-turc Ilker Çatak a été nommé aux Oscars pour représenter l'Allemagne dans la catégorie « meilleur film étranger ». « Si l'on connaissait la formule magique qui fait le succès des films… » répondent perplexes les producteurs allemands quand on leur demande d'expliquer le « phénomène Salle des profs ».

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Au-delà de la qualité de ce film unanimement loué par la critique en Allemagne, c'est l'universalité de son sujet qui convainc. Ce drame se joue entre les baies vitrées et les couloirs labyrinthiques d'un collège à l'architecture moderniste façon années 1970 qui pourrait se trouver en France comme aux États-Unis. En tentant d'élucider une série de vols commis dans l'établissement, Carla Nowak, jeune prof de maths et de sport idéaliste, se retrouve prise dans un inextricable conflit moral. L'école devient le miroir de la société tout entière et pose des questions éternelles : comment concilier idéalisme et réalité. Comment les meilleures intentions peuvent avoir des conséquences désastreuses. Comment éviter que le racisme, le mobbing (une relation conflictuelle sur le lieu de travail, aussi bien entre collègues qu'entre supérieurs et subordonnés), la violence et la discrimination viennent empoisonner le petit univers d'une salle de classe… et d'une salle des profs. On est loin du genre comédies légères dans lequel l'école est habituellement remisée en Allemagne.

Le sentier de la gloire

La Salle des profs a gravi une à une les marches de la gloire. Dès sa sortie en Allemagne, le film est loué par la critique. À la Berlinale 2022, il est très remarqué dans la série Panorama et attire immédiatement l'attention de l'étranger. Le film se vend très bien dans de nombreux pays. Pour les États-Unis, c'est le bon distributeur Sony Picture Classics qui acquiert les droits.

À LIRE AUSSI Oscars : ces films français déjà récompensés à HollywoodLa première consécration est made in Germany : le 12 mai dernier, contre toute attente, La Salle des profs est sacrée meilleur film de l'année 2023 lors de la cérémonie du Deutscher Filmpreis, le prix du cinéma allemand, l'équivalent des César français. Les jeux semblaient pourtant faits d'avance. Tout le monde était persuadé que ce serait le Goliath À l'Ouest, rien de nouveau, du réalisateur Edward Berger (oscar du meilleur film étranger en 2022) qui raflerait la mise. Un film épique peu apprécié par la critique allemande mais dont le thème, la Première Guerre mondiale, colle comme un gant à notre époque belliqueuse. À la surprise générale, c'est le petit David La Salle de classe qui décroche la lola en or, cette statuette qui tient lieu ici de césar. Ilker Çatak remporte aussi le prix du meilleur réalisateur et avec son coauteur et ami d'enfance Johannes Duncker celui du meilleur scénario. Leonie Benesch qui interprète la jeune prof Carla Nowak remporte la lola d'or de la meilleure actrice et bat la star Sandra Hüller, nommée pour Sissi et moi.

En août, German Films, la représentation du film allemand à l'étranger, choisit de proposer La Salle de classe pour porter les couleurs de l'Allemagne aux Oscars. « Un film très actuel, argue German Film, universel et incontournable. Ilker Çatak utilise le microcosme de l'école pour mettre en scène le processus d'érosion sociale. » Et en janvier dernier, l'Académie de Los Angeles annonce que La Salle de classe d'Ilker Çatak a été retenue parmi les cinq films étrangers en compétition pour décrocher le trophée le plus convoité au monde. À ses côtés, PerfectDays de l'Allemand Wim Wenders, qui concourt pour le Japon et d'Anatomie d'une chute de Justine Triet pour la France avec l'Allemande Sandra Hüller dans le rôle principal. L'Allemagne n'a remporté que quatre fois l'oscar du meilleur film étranger à Hollywood : l'an dernier avec À l'Ouest, rien de nouveau ; en 2007, avec La Vie des autres, de Florian Henckel von Donnersmarck ; en 2003, avec Nulle part en Afrique, de Caroline Link ; et en 1980, avec Le Tambour, de Volker Schlöndorff.

« J'ai pleuré de rage »

Une ombre à ce beau parcours. Le réalisateur germano-turc Ilker Çatak dit qu'il a longtemps encaissé sans rien dire, qu'il s'est forcé à sourire pour ne pas faire de vagues, mais que maintenant la coupe est pleine. Il est temps de crier sa colère. Ilker Çatak accuse les médias allemands de discrimination, eux qui ont tant de fois omis de citer son nom, en se contentant d'annoncer : Sandra Hüller, Wim Wenders et La Salle des profs sont nommés aux Oscars. « J'ai l'impression, dit Ilker Çatak dans une interview à la Süddeutsche Zeitung, qu'il faut sans doute avoir un nom allemand pour être cité par les médias dans ce pays. » Lors de la remise de la lola d'or au meilleur réalisateur, l'actrice allemande Iris Berben avait d'ailleurs déjà écorché son nom en révélant le contenu de l'enveloppe iconique alors que, raconte Ilker Çatak, l'Académie des Oscars l'a prié d'envoyer un enregistrement de sa voix pour être sûr que son nom soit prononcé correctement. « J'ai pleuré de rage, dit Ilker Çatak. Mon grand-père paysan a appris à lire et à écrire en arrivant en Allemagne et maintenant son petit-fils représentera l'Allemagne aux Oscars. Ça aurait pu être un bel exemple d'intégration réussie à opposer aux “les étrangers dehors !” que rugit l'AfD. Ça pourrait inspirer les jeunes issus de l'immigration. »Furieux, cet homme de 40 ans, né à Berlin, et qui a fait des études de cinéma à Hambourg, reconnaît que cette nomination lui a permis de comprendre qu'il est toujours considéré comme un étranger en Allemagne.

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Commentaires (4)

  • tcadde

    A la consonance Ilker et Hitler, ça se ressemble. Ca n'est pas suffisant, semble-t-il !

  • Irvina

    Qu'Ilker Çatak se rassure, je pourrais lui raconter l'histoire de cet agriculteur breton, né dans un village distant de 5 km de celui de son épouse qu'il a rejoint et où il a vécu et travaillé plus de 45 ans, se faire traiter "d'Etranger", argument ultime, pour une "sombre" histoire de regroupement de 2 communes. (Il était pour, elle était contre). Comme quoi...

  • La gauloise

    Au contraire les Allemands devraient être très fiers de cette intégration réussie mais dans le fond il doit toujours rester quelque chose de cette "race aryenne"...