« Laura » : et Gene Tierney devint une icône

Arte diffuse ce soir le chef-d’œuvre « Laura » (1944) d’Otto Preminger. Un film qui restera à jamais lié à son interprète, la fabuleuse et mystérieuse Gene Tierney.

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Gene Tierney, née en 1920 à Brooklyn et morte en 1991 au Texas.
Gene Tierney, née en 1920 à Brooklyn et morte en 1991 au Texas. © MARY EVANS/SIPA / SIPA / MARY EVANS/SIPA

Temps de lecture : 7 min

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Les amoureux de Gene Tierney connaissent la scène par cœur. Nous sommes dans le salon de Laura Hunt. Elle a été assassinée. Le détective menant l'enquête s'endort dans l'appartement bourgeois de la victime, un verre de whisky à la main, après avoir à nouveau contemplé le tableau représentant la morte. Le bruit des clés dans la serrure. La porte s'ouvre, se referme. La musique envahit l'espace. Le tableau devient vivant. La mystérieuse Laura Hunt, interprétée par Gene Tierney, surgit du néant devant le lieutenant Mark McPherson, joué par Dana Andrews. La femme fatale n'est pas vêtue d'une robe noire décolletée. Elle porte un imperméable et un chapeau cloche de couleur crème.

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La jeune fille timide de bonne famille n'a besoin d'aucun artifice pour saturer l'écran de sa beauté racée. Les pommettes saillantes, la chevelure brune, les yeux clairs. Les dents imparfaites. Cinquante-huit kilos pour un mètre soixante-treize. L'actrice américaine Gene Tierney reste l'un des plus beaux visages du monde. Le cinéaste Otto Preminger lui offre, dans Laura (1944), que rediffuse ce soir Arte, un rôle pour la postérité. Gene Tierney, née en 1920 à Brooklyn et morte en 1991 au Texas, est une présence-absence.

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Au fil du temps, Gene Tierney est devenue une actrice culte pour cinéphiles. On la croise dans les chansons d'Étienne Daho, les admirations de Jean d'Ormesson, les romans de Patrick Modiano. Elle a tourné sous la direction d'Ernst Lubitsch, Otto Preminger, Joseph L. Mankiewicz, Josef von Sternberg, Fritz Lang. Elle a joué aux côtés de Clark Gable, Humphrey Bogart, Henry Fonda, Tyrone Power, Spencer Tracy. Les plus grands réalisateurs, les plus grands acteurs.

Sa carrière compte trente-six longs-métrages et trois pièces de théâtre. Gene Tierney a mis son nom à l'affiche de nombre de films médiocres. La star a été entravée par sa fragilité psychologique, sa retenue, son manque d'ambition. Mais l'actrice de Laura (1944) reste inoubliable dans The Shanghai Gesture (1941), de Josef von Sternberg ; Le ciel peut attendre (1943), d'Ernst Lubitsch ; Péché mortel (1945), de John M. Stahl ; L'Aventure de Madame Muir (1947), de Joseph L. Mankiewicz. Son autobiographie, Mademoiselle, vous devriez faire du cinéma(1979), reste un modèle du genre. La comédienne mêle personnel et professionnel, avec une humilité non feinte. Elle dévoile ses fragilités. Gene Tierney se retrouve un jour dans un grand magasin de Houston. Une vendeuse s'approche d'elle avec une question banale : « Puis-je vous aider ? » À cette simple phrase, elle éclate en sanglots.

Gene Tierney est la fille d'un riche courtier en assurances. Une enfance apparemment heureuse. La crise de 1929 et les mauvais placements réduisent le train de vie fastueux de la famille. L'adolescente est envoyée deux années à l'école privée de Brillantmont, à Lausanne, en Suisse. Elle revient aux États-Unis en 1938. Durant un voyage familial, Gene Tierney visite les studios de la Warner Bros. Le réalisateur Anatole Litvak, saisi par sa beauté, lui conseille de devenir actrice : « Mademoiselle, vous devriez faire du cinéma…  » Elle est acceptée au conservatoire de New York. Elle joue dans des pièces de théâtre et remporte un succès commercial et critique dans The Male Animal (1940).

Gene Tierney et Howard Hugues, une amitié indéfectible

Gene Tierney se lie d'une amitié indéfectible avec l'aviateur Howard Hughes. Selon les versions, ils ont eu ou non une liaison amoureuse. Le père de Gene Tierney a monté la société familiale Belle-Tier pour gérer la carrière de sa fille. Les revenus de l'actrice y sont placés. La jeune comédienne est engagée par la Fox. Elle a un premier rôle marquant dans The Shanghai Gesture (1941), de Josef von Sternberg. Gene Tierney va briller au firmament durant une poignée d'années. Dès l'aube des années 1950, ses plus beaux rôles sont derrière elle. Deux hommes imparfaits se comporteront parfaitement avec elle. Le milliardaire Howard Hughes et le couturier Oleg Cassini. Ils lui témoigneront, jusqu'au bout, amitié et amour.

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Le tournant de sa vie est la naissance de sa fille handicapée. Gene Tierney était déjà éprouvée quand Daria Cassini voit le jour en novembre 1943. L'actrice a épousé en 1941, contre l'avis de ses parents, le styliste Oleg Cassini à Las Vegas. Il a une réputation de séducteur et de mondain. Elle tombe enceinte. Elle contracte la rubéole en 1943, lors d'une visite au Hollywood Canteen pour remonter le moral des soldats. Daria Cassini naît sourde, partiellement aveugle, handicapée mentalement. Howard Hughes règle toutes les dépenses afin que Daria Cassini bénéficie des meilleurs soins. La romancière Agatha Christie s'inspirera de la tragédie, dans Le miroir se brisa (1962). Gene Tierney se sépare d'Oleg Cassini. Durant le tournage du Château du dragon, en 1946, elle tombe amoureuse du jeune lieutenant John F. Kennedy. Ils rompent lorsque le futur président des États-Unis lui avoue qu'il ne l'épousera pas. Gene Tierney retourne auprès d'Oleg Cassini. Ils ont une seconde fille, Christina Cassini, en 1948. Le couple divorce en 1952. Gene Tierney vivra une histoire d'amour sérieuse avec le prince Ali Khan, avant d'épouser en 1960 le milliardaire texan Howard Lee. La star hollywoodienne meurt le 6 novembre 1991, à Houston, à l'âge de soixante-dix ans, des suites d'un emphysème. Le cinéma l'a alors abandonnée depuis longtemps.

Électrochocs et hôpitaux psychiatriques

Les premières pages de ses Mémoires : Gene Tierney hésite à sauter du quatorzième étage de son immeuble. Elle reste une vingtaine de minutes sur le rebord de la fenêtre, avant de finalement renoncer à se défenestrer. Elle est passée par deux hôpitaux psychiatriques en l'espace de trois ans. Elle a subi des électrochocs. Nous sommes en 1958. Gene Tierney est en route le lendemain de sa tentative de suicide avortée pour un troisième hôpital psychiatrique.

Dans ses Mémoires, elle tente de remonter le cours de sa vie, pour comprendre où le fil s'est brutalement rompu. Gene Tierney a été marquée par de multiples épreuves. Elle a découvert que son père adoré, tant admiré, lui avait volé son argent et avait été infidèle à sa mère ; elle a dû s'opposer à ses parents pour épouser Oleg Cassini, avant de se rendre compte qu'ils avaient raison ; elle rompra avec son père qu'elle ne reverra pratiquement plus durant seize ans ; elle a été réellement amoureuse du jeune lieutenant John F. Kennedy avant qu'ils ne se séparent.

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La naissance de sa fille handicapée, Daria Cassini, a été une douleur jamais surmontée. La jeune fille de bonne fille a aussi découvert une hérédité de maladie mentale du côté de la branche maternelle. Les crampes d'estomac, endurées presque toute sa vie, ont été un handicap dans son quotidien. Gene Tierney éprouvait un constant sentiment d'insécurité. L'interprète de Laura écrit : « L'argent m'intéressait davantage que la gloire. » Ses craintes étaient multiples. La peur de se retrouver à la rue, la peur d'être abandonnée, la peur de ne pas être à la hauteur.

Voltaire et Tolstoï

Gene Tierney le dit à plusieurs reprises, lors de son autobiographie : elle va bien quand elle se dissimule derrière un rôle, elle va mal quand elle est obligée d'être elle-même. Les pertes de mémoire, dues à ses graves dépressions nerveuses et à ses internements dans trois hôpitaux psychiatriques différents sur six années, entravent son jeu d'actrice. Elle a subi plus d'une trentaine d'électrochocs et a été enveloppée dans un cataplasme glacé. « Curieusement, je sus que j'allais mieux lorsque je pus me remettre à lire des livres. » Elle aime se plonger dans Voltaire et Tolstoï.

On la croisait sur les plateaux de cinéma, un essai de Nietzsche à la main. Gene Tierney deviendra temporairement vendeuse dans une boutique de prêt-à-porter pour reprendre pied dans la réalité. Elle surprend deux clientes en train de parler d'elle. Les deux femmes lui donnent une cinquantaine d'années. Gene Tierney a alors trente-huit ans. Les propositions au cinéma se font de plus en plus humiliantes. Elle finit sa vie au Texas. Elle lit, joue au bridge, fume.

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Dans ses Mémoires, Gene Tierney raconte aussi toute une époque. La puissance des studios hollywoodiens, les jeunes actrices considérées comme de la chair fraîche, le tabou social des troubles psychiatriques. La citoyenne a toujours été de droite. Gene Tierney note lors de sa rencontre avec John Kennedy : « En tant que républicains de Nouvelle-Angleterre, nous avions une méfiance naturelle contre ces riches démocrates qui prennent le parti des pauvres. » Elle votera en faveur de Nixon, contre Kennedy. Dans son autobiographie, elle se livre à de merveilleux portraits d'Howard Hughes, Oleg Cassini, Clark Gable. Les amoureux de Gene Tierney aiment l'actrice subtile, la femme fragile. La subtilité et la fragilité sont un frémissement. Elle reste aujourd'hui encore la grande actrice des cinéphiles. Son jeu sobre, son intelligence, sa beauté hypnotique. La comédienne du Fil du rasoir (1946), d'Edmund Goulding, et du Mystérieux Docteur Korvo (1949), d'Otto Preminger, s'inscrit dans les mémoires comme un long éblouissement.

Dans Péché mortel, elle se jette dans les escaliers afin de perdre l'enfant qu'elle porte. La scène est l'une des plus fortes de sa carrière. De tout ce qu'elle a vécu, Gene Tierney tire une conclusion : « La vie n'est pas un film. » Elle a contribué à briser le tabou de la maladie mentale ; elle a joué dans des chefs-d'œuvre ; elle demeure un mythe pour cinéphiles. Le film Laura est une enquête sur une femme fantomatique. L'ouverture du film : « I shall never forget the week-end Laura died. » Dans la scène inoubliable de Laura, où Laura Hunt apparaît devant l'inspecteur Mark McPherson alors que tout le monde la croit morte, un doute légitime surgit : est-elle un rêve ou une réalité ?

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Commentaires (6)

  • bonjour d.Alfred

    Elle était d'une classe incroyable Elle n'avait pas besoin de pleurnicher Dans La presse comme Les actrices actuelles Vous voyez ce que je veux dire.

  • @OLEG

    J ai bien connu da deuxieme fille Christina qui vivait a Paris, jusqu a la fin de sa vie. Elle vivait chicchement, obligee de travailler comme vendeuse. Mais elle avait chez elle le fameux portrait de Laura, son seul heritage, et ses albums de photos où on la voyait enfant sur les genous des celebrites des annees 50. Il etait dur d etre la fille de Gene Tierney.

  • Pachy

    Merci pour cet article car je ne savais rien de sa vie. J'ai deja vu plusieurs fois le film LAURA mais je vais recommencer ce soir ! Pour Dana Andrews aussi !